Le sujet numéro 17 est mort. L'injection l'a tué. C'est un échec.
Wladimir prit note, pas plus affecté que cela. Le corps de la souris, encore intact, était couché sur le côté, les yeux clos. Il la contempla quelques secondes, le regard légèrement contrarié puis enfila des gants de latex. Il ouvrit ensuite la cage et saisit le cadavre par la queue, le posa délicatement sur le carrelage de la paillasse, griffonna quelques symboles sur une étiquette puis l'accrocha à une patte. Enfin, il le... Rangea. Avec toutes les autres souris mortes.
Wladimir ne détestait pas particulièrement les souris. Au contraire, il lui arrivait de les trouver mignonnes, avec leurs petits yeux noirs brillants et leurs oreilles roses. Peut-être en avait-il déjà tué plus d'une centaine. C'était fort probable. « Le prix à payer pour faire avancer la science. » comme il le disait si souvent.
Le scientifique regarda par la fenêtre du laboratoire, une ouverture que l'on ne pouvait qu’entrebâiller pour un peu d'air pur, de temps à autres. Le sommet du Dôme était déjà bien sombre, il commençait même à être percé de quelques étoiles. Lorsqu'il sortirait pour rentrer chez lui, le froid habituel d'une soirée d'automne viendrait piquer son visage et l'odeur de la nuit embaumerait le chemin qu'il prendrait pour se rendre à son appartement. Le silence et la solitude dont il jouirait tout le long du trajet lui permettrait alors de décider de ce qu'il allait se cuisiner. Il sourit à l'avance. C'était grâce à son divorce, tout ça. Maintenant, la vie était belle.
Seul dans le laboratoire, il ferma tous les placards à clef, éteignit les ordinateurs, vérifia rapidement que toutes les souris étaient encore en bonne santé, puis éteignit les lumières. La vision de la pièce plongée dans la pénombre, il pouvait l'avoir tous les soirs. Plaisir enfantin, il avait l'impression d'être le gardien des lieux. Fermant la porte avec sa carte électronique, Wladimir prit le chemin du vestiaire où il déposerait sa blouse, suivant les longs couloirs mal éclairés du Centre Scientifique. Pour un non-initié, c'était un véritable labyrinthe, mais les employés pouvaient circuler les yeux fermés.
Sans s'en rendre vraiment compte, le quadragénaire se mit à fredonner une mélodie tout droit sortie d'un souvenir d'enfance et dont il avait oublié le nom. Mais pas l'auteur, Tchaïkovski. Il se mit à faire tourner la carte électronique entre ses doigts, machinalement, dans un sens puis dans un autre... Encore deux fois à droite, puis à gauche, les escaliers et la porte à droite.

Non, il fut arrêté dans sa progression bien avant. La porte d'un laboratoire était encore ouverte, une lumière légèrement tamisée le plongeait dans une douce ambiance de fin de journée et éclairait faiblement le couloir. Intrigué, Wladimir passa la tête dans l'encadrement de la porte, puis s'avança pour se poster juste dans le passage.
Il y avait là un bien beau spécimen d'être humain, de sexe féminin, âgé d'environ 25-30 ans, une blouse blanche enrobant un corps élégant aux formes fort généreuses. Sh... Sha... Oui, ça commençait par Sha. Cette jeune femme, Wladimir l'avait déjà croisée quelques fois, mais ils n'avaient jamais été vraiment présentés. Ou peut-être une fois, rapidement, trop rapidement pour avoir retenu son prénom.
Pas bien grave.

Plongée dans ses travaux et lui tournant presque totalement le dos, elle ne le remarqua pas. Wladimir en profita pour l'observer quelques secondes, tous sourires charmeurs dehors.

« Vous travaillez bien tard, ce soir... » dit-il aimablement. 20% de «vous devez être sur un gros projet, qu'est-ce donc ?», 30% de «d'habitude, je suis le dernier à partir» et 50% de «je peux vous offrir un verre, belle enfant ?»
Le dosage d'expert.